dimanche 14 juin 2009

L'abbaye d'Auberive (52)


L’abbaye d’Auberive, située dans le département de la Haute-Marne, est une abbaye cistercienne fondée au milieu du XIIème siècle. Le mouvement cistercien prend son essor à Cîteaux (Côte d’Or) en 1098, sous l’influence de Robert de Molesme, un religieux lassé de l’opulence des moines clunisiens et désireux de revenir aux fondamentaux des règles bénédictines. Cet ordre va connaître une envolée phénoménale ; près de 700 abbayes seront construites, réparties dans toute l’Europe occidentale.

Auberive est plus précisément fondée en 1135 par des moines venus de l’abbaye de Clairvaux dans l’Aube. Clairvaux était une des 4 filles de Cîteaux, avec Morimont (Haute-Marne), Pontigny (Yonne).

Le but des moines cisterciens était de vivre selon les règles de Saint Benoît, c’est-à-dire dans la foi, le labeur, et dans la pauvreté. C’est pourquoi les abbayes cisterciennes ont été construites ex-nihilo sur des terres hostiles, éloignées des cités, où bien souvent d’importants travaux de drainage ou de canalisations étaient nécessaires pour asseoir les fondations. Les hommes rentrés dans l’ordre en tant que convers étaient bien souvent des hommes issus du monde agricole, et n’ayant d’autre choix que de se convertir à l’ordre pour mettre leurs forces en commun plutôt que survivre dans les campagnes sous le joug des seigneurs.
Auberive n’échappe pas à ce constat, elle apparaît en pleine campagne, dans un département agricole, couvert de champs et de forêts. L’Aube, rivière locale, va être canalisée sur environ 1 km, et les moines vont installer un moulin in-situ pour profiter de l’énergie hydraulique.
De l’abbaye du XIIème siècle, il ne reste pas grand-chose, si ce n’est le chœur de l’abbatiale, église à chœur plat, avec les soubassements d’un autel d’origine. Les vitraux ont été restaurés par un artiste contemporain.






Ci-dessus, plusieurs vues des ailes du cloître, reconstruites entre 1750 et 1770


On sait grâce aux archives que l’abbaye va rapidement acquérir des terres et des monuments ; au XIIIème siècle, elle possède entre autres 14 moulins, 11 granges, une mine de sel et une autre de fer. Cependant, la guerre de 100 ans puis les guerres de religion vont la déstabiliser, en réduisant de moitié ses têtes de bétail, et elle va subir des pillages.

Le XVIIème siècle marque un tournant majeur pour l’abbaye : les bâtiments sont complètement reconstruits, on détruit l’abbatiale (sauf le chœur), on reconstruit également le moulin. Avec la Révolution, les quelques moines restant sont priés de partir, et le domaine est vendu comme bien national. Rachetée par divers propriétaires privés, dont le gendre de Diderot, l’abbaye va alors servir de filature de coton puis de haut-fourneau. Puis elle connaît une histoire moins glorieuse : à partir de 1856 et jusqu’à la fin du XIXème siècle, l’abbaye devient une prison pour femmes, pour désengorger la prison de Clairvaux (destin ironique : la « mère » religieuse d’Auberive était elle-même devenue un lieu d’incarcération !).




Ci-dessus, des vestiges de la période "prison pour femmes": statues contemporaines représentant les prisonnières et étranges sanitaires d'extérieur...


Entre 1925 et 1960, l’abbaye retrouve sa vocation religieuse grâce à Monseigneur Ghika, qui fonde la communauté de St Jean. Mais elle revient aux bénédictins par manque de moyens. Un autre rebondissement en 1960 fait de l’abbaye une colonie de vacances pour les enfants du groupe Solvay, grand groupe pharmaceutique implanté dans le Jura !

Enfin en 2004, l’abbaye est racheté par un privé, qui la transforme en lieu d’exposition d’art contemporain, l’ouvre au public et organise des manifestations culturelles type concerts pour la mettre en valeur.

Cette histoire pleine de bouleversements nous interroge sur la fonction d’un lieu patrimonial ; une abbaye cistercienne est au départ créée pour rassembler des hommes ayant la foi chrétienne et désireux de servir Dieu dans le dépouillement. Cependant, avec l’évolution de la société, l’impact des théories sur la religion, la désertion des moines et le désir de profit, l’abbaye a été tour à tour lieu industriel, lieu d’incarcération, colonie de vacances ou encore site culturel. Pour plus d’authenticité, il serait peut-être judicieux de voir à mettre en lumière la volonté des premiers hommes ayant fondé de leurs mains cette abbaye, ce qui ne signifie pas sombrer dans un fanatisme monastique, mais redonner son identité à un lieu malmené par les hommes s’y étant succédés.



Noëmie CHAUDRON