lundi 16 mars 2009

Saint Jérôme dans le désert



Les représentations modernes de Saint Jérôme dans le désert



Saint Jérôme est un personnage abondamment représenté de par les légendes à son sujet : il aurait été l’ami d’un lion après lui avoir ôté une épine de la patte ; il aurait vécu près de cinq ans dans le désert pour méditer ; sans oublier ses tentations (visions de jeunes filles) qui rappellent Saint Antoine.

La scène de Saint Jérôme en pénitence dans le désert fait l’objet de représentations fort différentes selon les artistes. Elle fait référence aux cinq ans passés dans le désert syrien, à lire des œuvres chrétiennes, écrire la vie de Saint Paul et faire pénitence . Pour cette étude, afin de diversifier les foyers artistiques proposés, quatre artistes de la fin du XVème siècle et du début du XVIème ont été choisis pour mettre en exergue leurs différences de styles.



Saint Jérôme ermite d’Antonello da Messina



Huile sur bois de 41x31 cm. La date de conception est inconnue.

L’œuvre est dominée par les rouges et les ocres. Elle contient peu de lumière, hormis quelques reflets, par exemple sur le pagne du saint. Les contrastes sont faibles et la toile assombrie. Le point de fuite créé par les quelques éléments architecturaux se focalise sur le saint.

De manière traditionnelle, Antonello da Messina représente ici un Saint Jérôme vieillard pourvu d’une longue barbe. Or, Saint Jérôme était relativement jeune quand il s’est exilé ; il s’agit de donner plus de sagesse au personnage. L’œuvre est donc empreinte d’imaginaire ; le vêtement de cardinal gisant au sol en est une autre preuve, Saint Jérôme n’ayant jamais été cardinal.

Le paysage verdoyant et abrupt, le visage dur et impassible du lion rappellent le style flamand dont l’artiste s’est inspiré. Nous avons affaire à un Saint Jérôme pénitent, se frappant la poitrine d’une pierre en regardant un crucifix afin de ressentir les douleurs qu’a pu éprouver le Christ lors de sa Passion.

La scène est d’une dévotion saisissante. Saint Jérôme a ôté ses vêtements de cardinal afin de paraître le plus humble possible. Il est ainsi vêtu d’un simple pagne. Son visage aux yeux plissés et à la bouche entrouverte rend compte de son adoration ; il semble totalement offert, agenouillé comme s’il avait commis une faute impardonnable.

Son fidèle lion ne prend pas parti à la scène. Il accompagne son maître de par sa présence mais ne peut comprendre les sentiments de celui-ci. Son pelage d’un brun sombre montre d’ailleurs qu’il n’est qu’un animal terrestre non susceptible d’être relié au domaine métaphysique. Au contraire, Saint Jérôme porte un pagne blanc aux reflets de lumière. Le blanc, symbole de pureté, exprime ainsi toute la foi du Saint, toute l’exaltation de son âme.

Le paysage n’est pas un vrai désert puisqu’il y a une majorité de feuillages ; néanmoins, Saint Jérôme est assis vers le côté rocheux. L’élément le plus voyant est l’attribut de cardinal qui semble avoir été littéralement abandonné et qui contraste par sa couleur rouge vif dans cette composition sombre. On peut émettre l’hypothèse que ce vêtement rattache le saint au monde humain puisque le cardinal côtoie des gens ; en l’enlevant, il montre sa tradition d’anachorète. En se mutilant sur le versant rocailleux du paysage, il prouve aussi qu’il refuse toute idée de confort.

Le tableau met en évidence la conviction religieuse de Saint Jérôme, prêt à s’automutiler pour purifier son âme.



Saint Jérôme de Léonard de Vinci


Technique mixte de tempera et huile sur bois. 103x75 cm. Date de réalisation : 1480-1482.

La composition est centrée sur le personnage du saint, mis en lumière par rapport au paysage de grottes ombrées à l’arrière-plan. Le lion apparaît de dos au premier plan. Les couleurs sont chaudes, ocres et pâles, cependant il y a peu de contrastes, la toile étant inachevée. Les couleurs ne sont pas vraiment appliquées, cependant cela permet d’apprécier la technique de préparation de l’artiste (couleurs relativement uniformes, privilège des ocres rouges pour la base). La tête du saint est mise en avant, rythmée par les parois verticales de la grotte.

Cette peinture montre l’influence de Verrochio sur Léonard ; elle est en effet inspirée d’une tête de Saint Jérôme sculptée par son maître. Cela nous amène à comprendre pourquoi le visage du saint est si expressif.

On réalise ici tout l’effort que porte Léonard sur l’anatomie, un de ses sujets de prédilection. L’ossature du cou et des pectoraux est très marquée, le visage creusé et expressif ; c’était là le principal objectif de Léonard, qui n’a d’ailleurs pas achevé son œuvre car il trouvait le bras tendu de Saint Jérôme trop long.

Comme dans l’œuvre précédente, le saint est en adoration, entrain de se frapper avec une pierre. Pourtant, son visage est encore plus expressif et souffrant que dans l’œuvre d’Antonello. Il est pratiquement chauve et dépourvu de barbe, ce qui permet d’accentuer les traits creux de son visage. L’ouverture de sa bouche exprime la douleur et l’extase. Son regard vaporeux part dans le vide, il ne semble ainsi plus faire attention à ce qui l’entoure, comme s’il avait une vision.

L’atmosphère est empreinte d’ascétisme et de spiritualité ; le saint est chétif, vêtu à la manière d’un ascète accompli. Aucun objet référent à la religion chrétienne comme un crucifix ou des livres, mais la présence du sentiment religieux est très forte.

Le lion couché est, contrairement à celui d’Antonello, entrain de rugir. Il nous tourne le dos, participant ainsi à la scène. Mais cela ne semble pas interpeller son maître. Le lion tente en vain de le ramener dans le monde matériel. Les éléments terrestres tels que la grotte à l’arrière-plan contrastent avec la pâleur de Saint Jérôme. Celui-ci ne semble plus faire partie du monde terrestre, il est en communion avec l’esprit divin.

En conclusion, il s’agit d’une œuvre plus dépouillée au niveau de la forme mais qui atteint son but en matière d’expression de la foi religieuse.



Saint Jérôme en prière de Jérôme Bosch


Huile sur bois, 135x100 cm, vers 1505.

La composition est un rectangle divisé par une diagonale, avec d’un côté Saint Jérôme, et de l’autre un paysage. Les couleurs sont très riches ; large éventail de verts en ce qui concerne le paysage, et de marron-gris pour la structure entourant le saint. Le blanc immaculé de la tunique et le rouge vif du vêtement de cardinal enrichissent encore plus cette composition hétérogène. Nous observons aussi une perspective chromatique, c’est-à-dire que le paysage semble vaste, on se perd au lointain.

Ici aussi, Saint Jérôme est en adoration, mais de manière plus calme. Il est allongé sur le ventre, vêtu d’une longue tunique blanche évoquant la pureté, et ses bras entrelacent un crucifix, avec les mains jointes en prière. Il faut signaler que le crucifix de Saint Jérôme n’est pas à l’origine un simple objet de culte comme il l’est représenté dans les peintures, mais une vision du Christ souffrant que Saint Jérôme avait lors de ses méditations. Peindre un crucifix permet de reconstituer la vision.

Saint Jérôme est tonsuré, tout comme les moines, ce qui n’est pas sans rappeler le fait qu’il ait fondé un monastère en Orient. Il ne se meurtrit pas, mais est entré dans une profonde méditation. Pour ce faire, il a abandonné ses habits de cardinal et ses livres, et s’est constitué une sorte d’abri fait de bric et de broc.

Nous observons un animal étrange tapi dans l’ombre, au faciès assez monstrueux, qui représente peut-être le lion de Saint Jérôme. Cette condition animale qui ne peut atteindre le spirituel est bien rendue par son aspect grotesque.

Le paysage à l’arrière-plan est constitué d’un village et d’une forêt au vert éclatant qui font référence aux tentations terrestres des plaisirs de la vie. D’autre part, un légume coupé gît vers le saint. Sa couleur rouge et la chair ont une connotation sexuelle et diabolique ; cela fait référence aux visions de prostituées de Saint Jérôme, car le fruit est un symbole souvent rattaché à la sensualité de la femme (pomme d’Eve, figue, grenade…).

Il ne faut pas omettre la chouette assez mal perceptible, perchée sur une branche, qui représente en fait la sagesse, donc la sagesse du Saint. Enfin, il convient de noter la belle perspective chromatique présente dans cette œuvre. Le dégradé de tons verts nous donne l’impression d’un paysage vaste.



Saint Jérôme lisant dans un paysage de Giovanni Bellini


Huile sur bois 49x39.4 cm datant de 1505.

La composition est essentiellement horizontale et verticale, encadrant le saint. Nous avons un effet de perspective de par l’architecture et aussi de par le paysage lointain. La lumière éclaire surtout l’avant du tableau. Les couleurs sont encore une fois dominées par les ocres, et contrastées par des bruns marquant l’architecture. Une harmonie se dégage de l’ensemble.

L’artiste s’est représenté lui-même dans ce tableau. En effet, Saint Jérôme présente tous les signes qui pourraient lui donner 75 ans (âge de Bellini au moment de l’achèvement de l’œuvre) : dos voûté, épaules tombantes, ventre flasque, calvitie, voire presbytie (livre éloigné des yeux). Seules les jambes semblent garder quelques marques de musculature.

La lumière éclaire directement le saint, se focalisant sur sa méditation. Importance de l’atmosphère érudite : le saint s’instruit, penché sur un ouvrage qui pourrait être la Bible hébraïque, ou encore sa propre Vulgate.

Il est à la porte de la mort, tout comme son lion qui semble bien vieux. Trois animaux immobiles se rapportent à cette idée d’attente de la mort : un lézard entre les cailloux, un écureuil sur une plate forme et une pie posée sur une branche morte. Cependant, il y a un combat entre le spirituel de son âme, représenté par la blancheur de sa tunique et de son livre s’accordant avec le bleu du ciel, et le corps passif, en parallèle avec l’ocre des roches et les animaux immobiles. Les deux lièvres face à face en sont une belle métaphore ; le lièvre blanc symbolise la pureté, la spiritualité du saint, et le lièvre roux, la fécondité, les fonctions naturelles du corps.

Le pont au troisième plan menant à un paysage proche de l’azur est encore un symbole du passage de la vie à la mort. Et au loin, l’architecture blanchâtre pourrait s’apparenter à la sainte Jérusalem.

Ce tableau tient son originalité dans le fait d’être beaucoup plus personnel, intimiste. La référence à la foi est moins soutenue.




Conclusion

En ce qui concerne les aspects inhérents au thème, nous avons une mise en exergue du saint et de sa légende. La dévotion du saint pour la religion chrétienne est très présente, accentuée par la lumière et la composition des différents tableaux centrés sur lui. Le visage âgé est volontairement meurtri pour donner plus de poids à sa condition d’anachorète. Quant à la légende, elle est représentée par différents points récurrents : vêtement de cardinal, lion domestique, visions…

La représentation évolue du milieu du quattrocento au début du XVIème siècle. Avec Antonello da Messina et Léonard de Vinci, Saint Jérôme arbore l’extase de sa pénitence, tel un modèle pour les croyants. Pour les autres artistes, il devient un patron humaniste, plus calme et intéressé par les écritures.

Il existe des inter-influences entre les différents peintres. Le précurseur, Antonello da Messina, cède la place à la nouvelle génération. Le traitement des formes et des couleurs ne mise pas sur l’expressivité au début du XVIème siècle ; le tableau semble plus formel mais le sens est à la recherche dans les symboles.

Le quattrocento est par excellence le siècle italien avide d’humanisme et commanditaire d’œuvres religieuses. L’artiste se fraye un chemin dans ce milieu et, s’il répond aux attentes, en respectant au départ certaines conditions, obtient rapidement une reconnaissance grandissante et une influence sur les prochaines générations. Néanmoins, il y a une certaine liberté qui fait que les peintres peuvent s’inspirer d’images fantaisistes (Bosch), ou de leur propre personne (Bellini).

Enfin, il faut noter que le thème du saint est magnifié (vieillissement voulu, éléments légendaires), pour satisfaire des commanditaires toujours plus exigeants.





Noëmie Chaudron