lundi 16 mars 2009

Le cycle d'Arezzo de Piero della Francesca



Piero Della Francesca apparaît, au Quatroccento italien, comme l’un des pionniers de la recherche de la perspective et de sa conception scénographique dans l’espace. Avec Le Cycle d’Arezzo, ensemble de fresques de l’église Francesco située à Arezzo, l’artiste fait montre d’une maîtrise intéressante de la perspective et de l’harmonie des proportions, dans une problématique incluant la rationalité mathématique tout en y apportant une spécificité.

Il convient d’aborder premièrement une présentation succincte de l’ensemble pictural du Cycle d’Arezzo, de l’artiste lui-même et des influences de son époque, puis d’envisager les questions des relations entre l’espace pictural et architectural dans cette oeuvre.
Piero Della Francesca, né en 1415, prend place dans un contexte artistique d’intenses recherches théoriques concernant la perspective, la relation à la représentation réaliste, les proportions et toutes les données mathématiques que cela implique.

Alberti rassemble ces idées dans ses traités De pictura (1435), De re aedificatoria (1443-1445) et De statua (1464). Ce dernier sera pour Piero Della Francesca un véritable précurseur sur lequel il va prendre exemple. Nous le verrons dans le fait qu’il réalise la fresque votive de l’église de Rimini, là où Alberti avait déjà fait preuve de son talent.

Le peintre Masaccio va également fortement l’influencer, de par ses premières approches de la perspective ; on pense aux fresques de Masaccio au Carmine et à Santa Maria Novella. Il va en outre être ébloui par les compositions, la luminosité et la structure limpide des œuvres de Fra Angelico. Toutes ces influences se retrouvent par exemple dans son Baptême du Christ effectué approximativement en 1440. Le Polyptique de la Miséricorde, commandé en 1445, laisse grandement apparaître les leçons de Masaccio de par la conception robuste des personnages, les contrastes importants d’ombre et de lumière et le fond d’or qui accorde une place majeure à la luminosité.


Par la suite, Piero Della Francesca va composer de manière ingénieuse des œuvres prenant en compte sa recherche de la perspective. La célèbre Flagellation du Christ (1447) en est l’exemple le plus frappant. Dans cette œuvre, le sujet principal se retrouve prostré au fond du tableau, mais pour autant, le point de focalisation fait en sorte que les regards se tournent sur le personnage du Christ, et en cela, Piero a réussi à intégrer la mathématique de l’espace dans une conception tout à fait innovante et personnelle.

Il va d’ailleurs rédiger ses impressions sur la question de la perspective dans son traité De Prospectiva Pingendi (1485). Ce livre traite en particuliers des figures géométriques, de l’architecture et des proportions du corps humain.

Dans cette course effrénée après la maîtrise de l’espace, le Cycle d’Arezzo s’inscrit dans la globalité de l’œuvre de l’artiste à l’apogée de son talent. Cet ensemble de fresques à la thématique antique se retrouve à l’église Francesco d’Arezzo, et prend concrètement place dans le chœur de l’édifice. A la base, ce projet est dans la continuité de l’œuvre inachevée de l’artiste Bicci di Lorenzo.

Ainsi, nous retrouvons une fresque centrale mettant en scène des personnages mythologiques comme Hélène ou la reine de Saba rencontrant Salomon, incluses dans un paysage architectural ; de chaque côté, les lunettes du chœur traitent de l’adoration de la Croix, et en dessous, nous pouvons admirer des affrontements dans La Défaite de Chosroès ou encore entre Constantin et Maxence.

Nous remarquerons par ce choix de mise en place des peintures que l’artiste n’a pas voulu représenter une histoire comme un livre ouvert mais qu’il a plutôt voulu prendre des instants choisis et les regrouper par thématique.

Les influences théoriques d’Alberti, les emprunts aux spécificités d’artistes majeurs se ressentent encore dans l’ensemble des fresques de la Légende de la Vraie Croix. La représentation d’une architecture modèle est comme un hommage à Alberti. Pour autant, Piero Della Francesca apporta sa pierre à l’édifice en réfléchissant aux questions des proportions et en appliquant ses résultats selon une conception unique.

Il s’agit à présent de s’en rendre compte plus concrètement en analysant la relation entre espace et architecture dans Le Cycle d’Arezzo.


Le Cycle d’Arezzo et les choix de l’espace qui lui sont attenants



La première peinture du cycle, Invention et Preuve de la Vraie Croix, se situe à la gauche de l’ensemble de fresques. Elle montre les trois croix enfouies dans un paysage de campagne, et à l’arrière-plan, par contraste, nous avons une ville.

La géométrisation de l’espace y est très nette. Les édifices sont structurés, le long d’une rue en perspective, avec au bout, évidemment, une église.

La scène, pour le coup, trouve sa suite dans l’espace, avec la représentation de l’extraction des croix, à la droite de la peinture médiane. Le support architectural de la peinture sert ainsi de prétexte à la création d’une historiette. Les personnages de la scène sont le point de focalisation mais à bien considérer, notre regard se perd avec les divers plans constitués par le paysage. En cela, Piero Della Francesca est novateur.

La maîtrise de l’architecture et de la conception spatiale se retrouve également sur la scène de la rencontre entre la reine de Saba et le roi Salomon. Les personnages se retrouvent inclus dans une architecture de temple antique, structurant l’espace de manière très géométrique, mais de par leur position et leur expression corporelle, ils prennent complètement part au rendu très monumental de cette peinture. Un sentiment très solennel se dégage de cette fresque, l’impression que la scène est réellement intemporelle.

Cette analyse fait suite aux conceptions très spécifiques d’Alberti qui concevait une architecture comme un corps humain, comparant chaque colonne, chaque arête, à un bras, un os. Ainsi, le bâtiment est comme un corps humain composé d’éléments individuels formant eux-mêmes un tout, mais le corps humain s’appréhende également comme une unité massive, solide et monumentale.


Enfin, nous avons les affrontements entre divers protagonistes ; d’une part Héraclius et Chosroès dans Héraclius rapporte la Croix à Jérusalem et d’autre part Constantin et Maxence dans La Victoire de Constantin sur Maxence au pont Milvius. Ici, l’utilisation de la masse est clairement mise en évidence pour rendre compte de la frénésie qui s’empare des personnages. Les pattes des chevaux par exemple créent une mêlée dans laquelle le regard du spectateur se perd, passant ainsi d’un plan à un autre, matérialisant toujours plus le support. L’accentuation de la lumière est également très intéressante à observer. Elle met en effet en valeur les personnages.




A travers notre étude du Cycle d’Arezzo de Piero Della Francesca, nous constatons que les théories de l’époque, élaborées notamment par Alberti dans son traité De pictura, sont reprises au moyen d’une mise en exergue très importante de la conception de la perspective (architecture, plans, insertion des personnages dans un espace pictural) mais également améliorées.

Le renforcement de la lumière par exemple s’inspire de Masaccio mais rend également les peintures toujours plus vivantes, et la démultiplication des points de focalisation par l’utilisation de plans confondus apporte un regard encore plus innovant sur cette œuvre clé de la Renaissance italienne.







Noëmie Chaudron