mardi 17 mars 2009

La chapelle Notre-Dame du Haut (70)




En France, 70 à 80% du patrimoine architectural est religieux.
Mais que le touriste n’ait pas peur de se lasser d’un paysage ainsi composé. Car si les édifices cultuels sont nombreux, ils sont aussi de style varié. En effet, les constructeurs de nos églises n’ont pas tous opté pour le roman ou le gothique.
La Chapelle Notre-Dame du Haut, sise à Ronchamp (Haute-Saône), sur la colline de Bourlémont, illustre parfaitement ce propos. Construite par un architecte de renom, à savoir Le Corbusier, elle est un chef d’œuvre d’art moderne.


La chapelle Notre-Dame du Haut, un chef d'oeuvre d'art moderne
chapelle ndh




L’histoire de sa construction est des plus simples.
A Ronchamp, il existe depuis le XIIIème siècle une chapelle dédiée au culte marial. Détruite une première fois en 1913 par la foudre, elle fut reconstruite entre 1923 à 1936. Mais elle s’écroula hélas à nouveau sous les bombardements de 1944.
Les Ronchampois décidèrent cependant de la relever une seconde fois. La Commission d’art sacré du diocèse de Besançon accueillit favorablement leur décision. Mais, prise en ce que certains auteurs ont appelé la mouvance de la réflexion sur l’art sacré d’après guerre, elle écarta le simple projet de restauration de la chapelle néo-gothique, pour lui préférer celui d’une reconstruction, en un tout autre style.
Les pères Couturier et Régamey, militant pour l’introduction de l’architecture et de la peinture moderne dans les édifices religieux, choisirent de faire appel à Le Corbusier pour réaliser ce projet.


La construction de la chapelle débuta en 1950 pour se terminer en 1955, année de son inauguration.
La chapelle est orientée comme le veut la tradition : l’autel y est à l’Est.
Cependant, l’édifice cultuel est marqué par une irrégularité architecturale. Son plan est dissymétrique, l’épaisseur de ses murs, comprise entre cinquante centimètres et trois mètres, variable. Il est construit sur le sol naturel sans nivellement : il suit donc la pente du terrain qui monte presque symboliquement vers l’autel principal.




Le Corbusier a construit la chapelle en utilisant majoritairement un matériau : le béton. La toiture, pièce majeure de la construction, en est entièrement constituée. Sa forme originale a été inspirée à l’architecte par une carapace de crabe découverte sur une plage de Long Island. Il est d’ailleurs à remarquer que comme cette carapace, la toiture est creuse : c’est en fait une coque de béton, dont les deux membranes sont séparées par un vide de 2,26 mètres.
Telles les bâtisses que Le Corbusier découvrit dans la vallée du M’Zab (Afrique du Nord) en 1931, ses murs, en pierres du pays, sont recouverts d’un crépi blanc, plus précisément de ciment blanchi à la chaux. La toiture, elle, est demeurée grise. Il est à remarquer qu’un espace de quelques centimètres a été aménagé entre la façade et cette toiture. Cette surélévation parvient à donner une certaine légèreté à ce bâtiment pourtant massif.
Le bâtiment est doté de trois tours (une de 22 mètres de haut, les deux autres de 15 mètres de haut) dont la forme rappelle les stèles funéraires d’Ischia. On distingue une croix au sommet de la plus haute. Comme le veut le principe du Modulor, système métrique directement lié à la morphologie humaine créé par Le Corbusier, elle est de dimension humaine.
Plan de la chapelle


La façade Sud

La façade sud est la première et la dernière que le pèlerin aperçoit.
Le mur y est percé de lucarnes de dimensions diverses, et dotées de vitres teintées (Le Corbusier a préféré ne pas recourir aux vitraux, rattachés selon lui à des notions trop anciennes d’architecture). S’inspirant de la mosquée Sidi Brahim d’El Atteuf, qu’il découvrit en 1931, Le Corbusier en a fait les seules sources de lumière pour l’intérieur. Par ce système, il assure une diffusion atténuée et modulée de la lumière, qui appelle au recueillement.




C’est sur cette façade qu’a été aménagée la porte d’entrée, qui pivote en son milieu. Elle est recouverte sur chaque face de 8 tôles d’acier émaillé à 760 degrés de chaleur (une première en architecture). Sur celle extérieure, Le Corbusier lui-même a réalisé une fresque, qui se distingue des traditionnelles peintures religieuses par la modernité de son motif. Attirent particulièrement l’attention deux mains : l’une rouge, qui bénit, l’autre bleue, qui pardonne. Sa surface lisse et colorée contraste avec la rugosité et la blancheur du mur alentour. Cette porte n’est ouverte qu’en cas de célébrations. Pour pénétrer dans la chapelle en d’autres occasions, le pèlerin doit cheminer jusqu’à la façade nord du bâtiment.
Devant cette porte se situe la plaque d’inauguration de la chapelle.
La porte d'entrée face extérieure



C’est sur la façade ouest du bâtiment que la toiture est la plus basse. S’y opère en conséquence l’écoulement des eaux du toit : une gargouille, dont la forme a été comparé par certains à celle d’une piste de saut à ski, guide l’eau en un bassin de béton. Ce bassin est décoré de trois formes géométriques (symbolisant la trinité ?), elles aussi de béton. Les pèlerins ont l’habitude d’y jeter une pièce, en formulant un souhait.


Le campanile

Face à cette façade, Le Corbusier a installé un campanile (il a en effet préféré doter la chapelle d’un foyer de cloches plutôt que d’un traditionnel clocher). Ce campanile est composé de trois cloches. Les deux premières appartenaient aux chapelles s’étant succédées sur la colline avant les bombardements de 1944, la troisième appartient à l’actuel bâtiment.



Sur la façade nord, on aperçoit la porte par laquelle les pèlerins pénètrent en la chapelle. Elle est surmontée de deux fenêtres, disposées à la verticale l’une de l’autre. Elles permettent, comme les différentes lucarnes aménagées sur la façade, la pénétration de la lumière à l’intérieur de la chapelle. La façade Nord


La façade Est

La façade Est, pour sa part, a été établie de sorte à constituer un chœur extérieur. Réplique du chœur intérieur, il est d’usage d’y célébrer l’office en période estivale. A cette occasion, la statue de la sainte vierge, située dans la lucarne au dessus de l’autel, fait face à l’assemblée.
Selon certains, cette façade a été réalisée de manière à donner une impression d’ouverture sur l’infini. Le toit bombé, pointant vers le ciel, constituerait un appel à l’élévation.



Face à cette façade, Le Corbusier a édifié une pyramide, avec les pierres provenant de l’ancienne chapelle. Elle commémore les bombardements de 1944, ayant causé plusieurs morts sur la colline de Bourlémont.

La pyramide




L’intérieur de la chapelle, illuminé par le seul biais des lucarnes décrites ci-haut, est assez sombre. Toutefois, on distingue parfaitement les couleurs des vitres dont les lucarnes sont dotées. Il en va de même pour les messages, tous dédiés à la Vierge Marie, dont certaines sont porteuses.
Le sol est composé de ciment et de pierres.
La nef intérieure peut accueillir jusqu’à 200 personnes.
Contrairement à nos églises traditionnelles, il n’y a pas de bancs de part et d’autre d’une allée. Le Corbusier a préféré n’en installer que côté façade lumineuse. Ils ont été réalisés par Joseph Savina, qui utilisa du béton brut et du bois d’Afrique.
Le chœur est décoré très simplement. Il comprend un autel, de pierre, et une chaire, de béton. Y prend également place une croix de bois, de dimension humaine.
Le mur est percé d’une lucarne, où a été placée une statue de la vierge Marie. Celle-ci a la capacité de se tourner à l’intérieur quand les célébrations ont lieu à l’intérieur, et à l’extérieur quand elles ont lieu à l’extérieur. De petites ouvertures ont également été réalisées dans la paroi, permettant à la lumière du soleil de gagner l’autel.
Face au chœur, au fond de la chapelle, prennent place des confessionnaux, encastrés dans la paroi.
La chapelle possède en outre trois chapelles latérales, situées respectivement dans chacune des trois tours. Assez étroites, elles ne comprennent qu’un petit autel. Elles disposent d’un système d’éclairage particulier : chacune des tours prend, par le biais d’une demi-coupole, la lumière du soleil sur une orientation différente de celle de ses consœurs, et la laisse tomber à la verticale sur l’autel situé en son sein. Ce système reprend celui des puits de lumières d’Ischia pour certains, celui du serapeum de la villa Hadrien, découverte par l’architecte en 1911, pour d’autres.



De nombreuses critiques fusèrent pendant la durée des travaux, ce tant en France qu’à l’étranger. A titre d’exemple, on peut citer l’article paru le 28 septembre 1954 en le journal l’Aurore : la chapelle y est qualifiée de « garage ecclésiastique » auquel « on pourrait ajouter un petit moulin », son toit serait « incurvé pour ramasser l’eau de pluie », d’où l’apostrophe de l’auteur « Sainte Cuvette, priez pour nous ! ».
L’Eglise, suite à une pétition réalisée à Rome, dut refuser sa consécration à l’issue des travaux. Celle-ci n’a eu lieu qu’en 2005, avec l’archevêque André Lacrampe.
Cependant, la Chapelle de Ronchamp est aujourd’hui considérée comme un chef d’œuvre architectural, qui en a inspiré de nombreux autres. Tel a notamment été le cas pour une chapelle privée réalisée en 2001 par les architectes Estudio et Sancho-Madridejos à Valleaceron en Espagne, ou encore pour la chapelle Saint-Ignace réalisée en 1997 par l’architecte Steven Holl sur le campus de l’université de Seattle aux Etats-Unis.
De plus, elle est à l’heure actuelle l’un des sites touristiques emblématiques de la Haute-Saône. En 2005, près de 100 000 touristes s’y sont rendus, en faisant le second site le plus visité du département.



Marie MANZONI