lundi 16 mars 2009

Espace classique/espace baroque



          Avant de commencer à confronter l’art classique à l’art baroque, même si cela ne concerne particulièrement que la notion d’espace, il s’agit de définir quelle période de l’art classique nous allons déterminer. En effet, l’espace classique se retrouve dans la perfection antique, à l’apogée des empires grecs et romains, mais aussi avec le classicisme retrouvé sous Charlemagne, ou encore avec le néo classicisme napoléonien. Nous allons privilégier l’espace classique tel qu’il apparaît en Italie au XVème siècle, et tel qu’il se poursuit jusqu’au XVIIème siècle.

          Cette donnée préliminaire faite, nous allons pouvoir comparer des œuvres classiques et baroques entre elles, et plus précisément la notion de l’espace, et en dégager les oppositions mais également les similitudes qui en ressortent.

          Les analyses de l’espace classique en opposition à l’espace baroque vont porter sur des œuvres picturales, architecturales et paysagères.



L’espace classique et l’espace baroque à travers les œuvres picturales



          Nicolas Poussin (1594-1665) reste un des peintres classiques français les plus réputés. Son œuvre Mort de Germanicus (1628) rend parfaitement hommage au classicisme comme admirateur de la perfection antique.

Le tableau est peint comme un bas-relief antique, représentant une scène historique inscrite dans une architecture antique, faite de régularité, de symétrie, de proportions ‘parfaites’, tout dans la mesure, la sagesse, la droiture. Les couleurs de l’architecture représentée sont sobres, ocres, comme le sont les couleurs des temples antiques.

La scène représente donc les derniers souffles de Germanicus étendu avec une foule venant le regarder. On remarquera son épouse, Agrippine, qui, comme dans toute tradition iconographique antique, se voile le visage comme signe de désespoir. Les soldats quant à eux, symboles de la fierté masculine, lèvent leurs armes en signe d’une part de salutation à leur chef, d’autre part d’une future vengeance pour lui faire honneur.

L’espace est occupé de manière également classique ; le personnage mourant constitue le point de focalisation et la foule est attroupée autour de lui, pour lui rendre hommage, mais chaque personnage est assez figé, malgré une volonté de représenter des émotions. L’émotion est dans la retenue, le visage retenu dans les mains plutôt que meurtri et grimaçant de tristesse, les armes levées mais droites, pas de mêlée désordonnée.


          A contrario, Pierre de Cortone va insuffler une sensation de vie dans ses peintures baroques. L’œuvre Rémus et Romulus recueillis par Faustulus (1643) ne choisit pas une architecture comme cadre mais un espace naturel délimité par des arbres et l’horizon. En cela même il est difficile de parler de cadre, la nature étant en effet représentée comme s’entremêlant aux personnages (les nuages très bas joignent presque la terre). Le toit de la cabane quant à lui semble se diriger vers l’homme tenant l’enfant, comme glissant vers lui. L’architecture n’est donc ni convenue, ni statique, mais vivante.Les personnages vont à la rencontre l’un de l’autre, ils bougent, leurs bras et leurs jambes sont en avant, les plis de leurs habits les accompagnent, et contrairement à l’œuvre précédemment étudiée, leurs corps ne sont pas droits et rigides.

De plus, un espace paysager est laissé à l’abandon à la droite du personnage masculin, là où le classique va occuper l’espace en disposant de manière structurée les personnages.

          Pour autant, l’œuvre baroque conserve des attitudes classiques ; les corps bougent mais les visages sont réservés, les teints de peau frais, les couleurs ne sont pas exagérées elles non plus. Les thèmes classiques aussi sont récurrents. Rémus et Romulus, voilà encore un sujet hérité de l’Antiquité.




L’espace classique et l’espace baroque définis par l’architecture et la sculpture


          L’architecture reste le domaine le plus développé dans l’opposition entre l’art classique et l’art baroque. L’architecture classique va faire honneur à l’Antiquité en ayant dans l’idée de conserver des lignes épurées, droites, proportionnelles, presque divines. Rien ne doit dépasser, l’harmonie doit être évidente et parfaite.

          En Italie, Brunelleschi (1377-1446) va se passionner pour l’Antiquité et en faire son métier à travers ses travaux d’architecture. Sa coupole pour l’église Santa Maria del Fiore marque ses choix de manière brillante. La réalisation occupa presque toute sa vie (la structure fut terminée en 1434 mais de nouveaux éléments comme les tribunes sont placés quatre ans plus tard) et définit les bases de l’architecture de la Renaissance. Il utilisa une technique évoquée dans l’Antiquité qui consiste à élever la coupole sans utiliser d’armature.

Pour cette œuvre, la rationalité va être le point le plus important pour conduire la construction. Chaque partie de l’élément architectural est harmonieusement coordonnée et proportionnée à tout le reste de l’édifice. La demie sphère de la coupole pointe vers le ciel comme une chose évidente, ne dénotant pas avec le reste de l’architecture, et comme un élément pur et dénué de touches inutiles.

La perspective prend corps en toute simplicité, avec souvent chez Brunelleschi une pierre sombre proprement florentine sur crépi blanc qui met en valeur cette proportion harmonieuse.


          En France, l’édifice le plus cité pour l’époque classique est le château de Versailles, mais il a des prédécesseurs tels que le château de Cheverny où la déesse antique Diane est mise à l’honneur. Les structures carrées et linéaires restent aussi ici de mise, la géométrie est respectée et le rendu harmonieux.

          L’architecture baroque va laisser exploser cette envie de ne plus se contenter de la droiture, mais de surcharger les décors, et de personnaliser les édifices, de ne plus rester dans la théorie mais de donner à un édifice un caractère vivant, laissant presque des sentiments humains le pénétrer.

          Le Bernin va être un des principaux acteurs de l’architecture baroque en Italie. Il travaille de 1624 à 1678 à la décoration de Saint Pierre de Rome et lui donne sa colonnade ainsi que les tombeaux des papes Urbain VIII et Alexandre VII (outre ces éléments d’architecture, il va également y apporter des sculptures). Ces travaux coïncident avec la Contre Réforme de l’Eglise catholique, qui inspira grandement les artistes dans leur volonté de dépasser les normes. On trouve dans cet édifice l’emploi des colonnes torses typiques de l’époque baroque. Le désir de démesure se ressent à travers cette particularité si originale. Nous ne sommes plus dans les lignes droites et sans fioritures mais au contraire dans un espace tortueux et désireux de céder aux caprices de l’artiste.La surcharge de dorures et de petits éléments décoratifs pour les tombeaux ne correspond plus à la pureté désirée par le classicisme. Avec le baroque, nous sommes aux limites de l’exubérance.

          De même , la sculpture Extase de Sainte Thérèse placée dans l’église Sainte Marie de la Victoire à Rome occupe l’espace de manière anarchique. Un grand soleil baigne la sainte de ses rayons, en l’inondant avec des rais de lumière inégaux, à foison, qui dépassent, percent, et ne restent pas confinés comme l’aurait fait un soleil classique. Les personnages de la sculpture semblent quant à aux vivants, élancés dans des mouvements empreints de grâce, arrivant même à soulever un morceau de pierre sculptée comme s’il s’agissait d’un réel pli de tissu.




L’espace classique et l’espace baroque dans les paysages et jardins







          Les jardins de Vaux le Vicomte dessinés par Le Nôtre sont l’exemple type d’un paysage de château répondant aux règles du classicisme. Les haies, végétaux et autres fleurs sont retenus dans un espace géométrisé à outrance, de manière à former un ensemble contenu et régulier. Tout comme dans l’architecture, l’espace défini doit respirer l’harmonie, la droiture, les proportions, la perspective parfaite, rigide et réfléchie de manière mathématique.

Le Nôtre créa l’idéal du ‘jardin à la française’, avec un schéma géométrique ordonné, un bon usage des plans, des jeux d’eau et des statues, qui créèrent le cadre imposant du Grand Siècle et influencèrent notamment la création des jardins de Versailles.

Dans ce vaste espace rythmé par des terrasses successives, le Nôtre dispose les éléments de ses jardins : rinceaux de buis imitant les motifs de tapis turcs, bosquets, grottes, pelouses, eaux dormantes ou jaillissantes, plantations d’encadrement. Cette conception nouvelle traduit l’ordre, la rigueur et la noblesse de cette époque. On reste proche de l’idée du triomphe de l’Empire romain. Le marcheur pénétrant dans ces jardins découvrait petit à petit une architecture paysagère fastueuse, rythmée par une symétrie inspirant autant la grandeur que l’apaisement. Ce qui est sûr, c’est que l’architecte avait étudié les moindres défauts du terrain, la moindre déclivité pour arriver à un plan aussi parfait.

          Le Bernin, encore lui, va également s’intéresser aux jardins et aux points d’eau à travers l’art baroque. La fontaine des Quatre Fleuves située place Navone par exemple utilise la roche comme élément architectural constructif et non décoratif. En cela cette œuvre est baroque, elle va au delà des convenances, créant un effet de surprise. Nous sommes confrontés à un débordement des formes et la lumière crée perpétuellement un effet de mouvement tout à fait spectaculaire.

Le Bernin va vouloir tant faire dans l’original que ses visions du projet du Louvre ne seront pas retenues…




          L’art classique et l’art baroque se contredisent dans le sens où le premier prône la mesure, la droiture, la régularité, les proportions justes et harmonieuses, là où le deuxième veut dépasser les limites et faire triomphe la fantaisie, le mouvement, la présence de détails qui ôte l’aspect sobre des œuvres classiques.

Cependant, il faut bien comprendre que le baroque s’inspire du classique, ne serait- ce que par ses thèmes, bien souvent antiques ou catholiques, et que l’exubérance baroque n’est pas si importante comparée à l’exaltation et la grandeur classique, qui en impose avec sa rigueur presque écrasante.





Noëmie Chaudron