dimanche 22 février 2009

Les pressoirs des Ducs de Bourgogne à Chenôve (21)



Historique :


Il est des monuments encore trop négligés par les visiteurs lors des escapades touristiques, et qui, malgré les recherches déjà effectuées à leur encontre, mériteraient une attention encore plus particulière, et une restauration, reconstructive ou pas, pour qu’ils ne sombrent pas dans l’oubli.

Les Pressoirs à vin des Ducs de Bourgogne font partie de ce patrimoine qui commence seulement à être mis en valeur, mais qui demanderait encore plus d’efforts.

Les pressoirs à vin datant du Moyen Age restent nombreux en France, notamment à l’époque d’affluence des Cisterciens, moines fervents amateurs de cette boisson fortement répandue à l’époque, avec la bière, l’eau n’étant pas forcément potable, et vecteur d’épidémies telles la peste ou le choléra.

Seulement, les pressoirs à haute technologie et en très bon état de conservation se font déjà plus rares. C’est le cas des pressoirs des Ducs de Bourgogne.

Il s’agit de pressoirs à contrepoids mobiles, et c’est là que réside toute l’ingéniosité technique de ces monstres de chêne. Cette technique est née au Nord de l’Europe, probablement en Flandres. Il subsiste une trace dans les archives de Liège d’un pressoir du même type que ceux rencontrés à Chenôve. Ce fait n’est guère étonnant, quand on sait que le duché de Bourgogne s’est étendu jusqu’au Luxembourg actuel, et que les ducs comptaient dans leur cour d’éminents ingénieurs venant de toutes parts de l’Europe.


Mais reprenons l’histoire des Pressoirs des Ducs au début. Les Pressoirs que l’on peut visiter actuellement datent de 1404 pour le plus grand, et de 1407 pour le plus petit. Ils sont enfermés dans une halle du XV ème siècle (la charpente en chêne a été datée par dendrochronologie (1) de 1401), halle à l’origine recouverte d’un toit de laves ou lauzes (2), effondré en 1956, et reposant sur deux caves voûtées du XIII ème siècle.

Il est intéressant de constater que des caves du XIII ème siècle persistent car on retrouve dans les archives des propos relatant l’existence de pressoirs commandités par la duchesse bourguignonne Alix de Vergy en 1238. En fait, cette duchesse faisant partie de la première famille ducale bourguignonne (les Capétiens) avait demandé la réalisation de pressoirs à vin à l’endroit où se situent les pressoirs actuels.

Seulement, la seconde famille des ducs de Bourgogne, celle des Grands Ducs (les Valois), jugeant que les pressoirs du XIIIème siècle sont inaptes à produire une grande quantité de vin et surtout pas assez prestigieux pour les représenter, décide de les raser avec le bâtiment en élévation, et reconstruisent la halle actuelle, en construction type cathédrale, en y associant deux pressoirs flambant neufs, que ce soit au niveau de la qualité des matériaux ou au niveau de la technique utilisée.


On a donc un bâtiment presque entièrement du XVème siècle, mais ayant subi des réfections importantes aux XVIIIème et XIXème siècles. Il faut imaginer un monument presque industriel, où se trouvaient des vignes à l’arrière, afin de pouvoir amener des charrettes pleines directement aux pressoirs, en passant par une porte cochère. Le toit de laves permettait de conserver le vin dans des tonneaux stockés au rez-de-chaussée de la halle, car les lauzes ont des propriétés isolantes. Ce toit s’étant effondré, il n’est plus possible actuellement de conserver du vin dans cette pièce, les écarts de température étant bien trop importants. Une porte cochère donnant sur la rue se trouvait de l’autre côté, permettant ainsi l’acheminement des tonneaux remplis. La porte piétonne à côté servait à la circulation des vignerons.

Les pressoirs se trouvaient dans la nef centrale. Le système porte cochère-porte piétonne était réitéré sur les deux collatéraux, et de chaque côté du bâtiment. Enfin, des systèmes de tuyaux sortant de la goulotte des pressoirs permettaient d’écouler le vin directement dans des tonneaux ouverts dans les caves, en passant à travers un trou communiquant entre le rez-de-chaussée et les caves. Cette organisation très bien ficelée correspond aux besoins particulièrement importants en vin à cette époque. Il faut imaginer que lorsque les pressoirs fonctionnaient simultanément pendant une journée complète, on pouvait obtenir 23000 litres de vin ! De quoi abreuver la table des nobles du duché et également en exporter dans les contrées lointaines (le cardinal d’Angleterre faisait venir du vin de Chenôve, et nous avons également des notes d’archives signalant la présence de ce vin sur les tables du Roi Soleil).



Technique utilisée pour faire fonctionner les pressoirs :


Les pressoirs fonctionnent un peu comme un actuel presse-citron. La grande table située contre le sol, appelée maie, sert à déposer les grappes de raisin. On enferme ensuite ces grappes dans un coffre de bois constitué de quatre planches (les claies) avec à leur base des fentes triangulaires pour laisser s’écouler le jus. Le tout est recouvert d’un manteau, grande planche carrée servant de couvercle. On place ensuite sur ce dispositif une pyramide de cales, bâtonnets de bois que nous allons entrecroiser jusqu’au bras de levier du pressoir, ceci afin d’écraser uniformément les grappes de raisin placées dans le coffre de bois.

On enlève les cales de protection appelées aiguillons, servant à maintenir le bras de levier à l’horizontale au repos. Vient ensuite l’utilisation de la vis et du contrepoids. Quatre hommes (deux pouvaient suffire) se placent aux étiquets du cabestan, en quelque sorte les quatre barres bloquant le mécanisme de serrage de la vis. Ils tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre afin de desserrer la vis et de la faire remonter. La vis, en remontant, emporte avec elle le contrepoids (de 4 à 8 tonnes selon le modèle) qui tournoie dans le vide, permettant ainsi au treuil d’exercer une pression régulière sur les grappes, sans emballer la machine. Les aiguillons de cale sont également remis et enlevés au fur et à mesure dans des fentes verticales afin de trouver la juste position du bras de levier. Un homme, afin de superviser le travail et voir si rien ne cassait, pouvait se placer sur le balcon au-dessus du treuil et avoir vue sur le déroulement des actions.

Le jeune vin, appelé bourru, coule alors à flots.


Vocabulaire :


La maie est la table où l’on va placer les raisins.

Les claies sont les quatre planches permettant de former un coffre ouvert où déposer les grappes. Elles sont percées à leur base d’une dentelle de petits triangles pour laisser le jus s’écouler.

Le manteau est le nom donné au couvercle reposant sur les claies.

Les cales sont les petits bâtonnets de bois entrecroisés en pyramide sur le coffre de raisins et en dessous le bras de levier.

Les aiguillons sont les cales visant à maintenir le bras de levier en position horizontale.

La goulerotte est la fente située au bout de la maie où s’écoule le jus.

Le bras de levier, également appelé treuil, est la grande poutre de bois (taillée dans un tronc entier de chêne) qui va exercer la pression sur la pyramide de raisins.

La vis est l’élément permettant d’entraîner le bras de levier et de soulever le contrepoids. Pour ne pas la casser, elle était sculptée dans du châtaigner. La vis du plus petit pressoir est d’origine, celle du grand pressoir a été remplacée par une vis en acier à la Révolution industrielle.

Le contrepoids, également appelé Margot (3) est un bloc de pierre cylindrique qui pèse entre 4 à 8 tonnes selon le modèle du pressoir.




Informations pratiques :


Les pressoirs ont été utilisés jusque dans les années 1920, puis laissés à l’abandon une soixantaine d’année, la Révolution industrielle les reléguant au stade d’objets vétustes et encombrants. Ils ont failli finir en bois de chauffe ! Heureusement, ils furent inscrits en 1923 sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et un gardien passionné en faisait la visite. Par la suite, la famille Chéron, exploitants viticoles, en firent l’acquisition, mais la mairie de Chenôve a obtenu le droit d’en laisser l’accès libre aux visiteurs pendant la belle saison.

Les pressoirs sont donc visitables en juillet-août tous les jours, et en septembre les week-end et mercredi (informations valables à la date de rédaction de cet article). Vous pourrez admirer gratuitement ces monstres de technologie, accompagnés d’un guide qui vous expliquera leur fonctionnement, puis recueillir plus d’informations grâce à une salle annexe de documentation regroupant photographies professionnelles, croquis techniques et visionnage de deux vidéos, l’une grand public et l’autre très pointue sur les études historiques, ethnologiques et archéologiques ayant été effectuées.

Lors du week-end des journées du patrimoine (en général, troisième week-end de septembre), le plus petit des deux pressoirs, avec un bras de levier de 9m de long, tout de même, est remis en fonctionnement par des bénévoles de l’association pour la fête de la pressée. Des démonstrations sont donc programmées tout le long du week-end et du vin bourru est mis en vente.



(1) La dendrochronologie fait partie de ces branches de l’archéologie visant à dater des éléments ; ici, on se base sur l’étude des cernes de croissance du bois (un cerne = une année), du cœur à l’aubier, pour déterminer la date d’abattage de l’arbre et comparer avec des courbes chronologiques effectuées grâce à d’autres arbres.

(2) Les laves sont des pierres naturelles très lourdes qui assurent isolation et protection à un bâtiment mais qui pèsent 800 kgs au mètre carré.

(3) En référence à la duchesse Marguerite de Bourgogne qui aimait s’asseoir au bout des pressoirs et observer les jeunes vignerons faire le vin.





Noëmie Chaudron